Se mettre au monde

Mon certificat de naissance clame à voix haute que j'ai largement franchi le cap des 18 ans, je ne me fais plus carter les rares fois où je me pointe à la SAQ, je peux aller dans les bars de tous les pays que je connais. Bref, la civilisation occidentale au grand complet tamponne " Adulte " sur mon passeport.

Pourtant, je me sens affreusement, voire tragiquement, divisée. Je reste encore chez ma mère, je n'ai pas les moyens financiers de me tirer de là même si ça relève de la santé mentale élémentaire, pas de travail, pas assez travaillé pour avoir du chômage, Richard Desjardins m'a téléphoné pour que j'arrête de distribuer des cv : j'ai tué ce qu'il restait de forêt en Abitibi.

J'ai 26 ans. Aucun objectif de vie atteint. J'ai l'impression d'avoir un signe " loser " tatoué sur mon front.

Je trafique mon cv pour postuler sur des jobs au salaire minimum... et on ne me rappelle pas. J'évite le travail en restauration rapide, en dépanneur et en station-service. Ce sont les derniers bastions de ma dignité.

Oui, car à la déception s'ajoute la question de la dignité. J'ai terminé ma rédaction en septembre. Décembre c'était corrigé. Entre-temps j'ai eu un contrat intéressant (parce qu'à Mtl) comme adjointe-administrative exploitée.

- C'est pas grave, c'est en attendant...

Que je me disais. Mon cher gouvernement conservateur a tué mes chances de poursuivre dans cette boîte...Retour en trifluvie. J'ai travaillé pour les élections (Québec et Canada) ...

- C'est pas grave, c'est en attendant...

Je suis rentrée comme prof dans un cegep avec une charge de cours liliputienne. J'ai fait du mieux que j'ai pu, pris un cours de pédago, assisté aux réunions... Il reste du chemin à faire avant que je devienne vraiment un bon prof, j'en suis extrêmement consciente... Toutefois, l'autre midi, en écoutant qui ferait quoi l'automne prochain, j'ai compris que je ne serais sûrement pas de la partie.

- Ça devient grave, parce que je suis tannée d'attendre.

Tannée d'être sur la glace, de faire du surplace. Tannée de commencer et de ne jamais finir. Tannée de distribuer des cv qui restent sans réponse. Tannée de faire la liste des trucs dont j'aurais besoin en appartement et de ne pas avoir les sous pour le faire maintenant. Tannée d'être chez moman. Tannée d'être une No Life!

Tannée de vivre dans l'attente du mieux, du meilleur et du bon.

S'ajoute à mon écoeurantite aigue, les conseils et les remarques acerbes d'une mère qui en a marre que sa grande niaiseuse de 26 ans soit sous son toit. Tellement marre qu'elle lui donne un deadline! Les ponts sont-ils confortables à cette période-ci de l'année? Cette attitude est dénoncée par le père, qui ne lèvera pas le petit doigt pour aider sa fille. Non! Il préférera lui suggérer de remplir une demande d'aide sociale.............

En même temps, est-il de leur devoir de m'aider? Peut-être pas... À tout le moins, le devoir de ne pas me nuire en minant ce qu'il me reste de moral et de confiance en moi devrait être respecté.

Tannée de me sentir seule et pas appuyée.

Over rassassiée des amis et connaissances qui me disent de visualiser ma réussite, de m'adresser à l'Univers, de m'ouvrir à l'abondance... Le prochain qui me parle du cosmos, je l'envoie valser dans une galaxie près de chez-lui.. ou j'y pète la yeule, ça dépend de mon humeur du moment. Soûlée de ceux qui me disent : " j'tellement pas inquiet(e) pour toi! C'est clair que tu vas trouver de quoi de bien! Voyons donc!"

Je suis une femme...
Qui a une vie de fillette
Dichotomie.

Vivement que je me rapaille!!!
Vivement que je sois une vraie adulte.
Vivement que j'accouche de moé!