2 mars 2008

Perdue dans ta géographie

Le vinyle de Nathalie Simard joue tue-tête. Je me dandine gaiement en gesticulant les paroles de la chanson que j’écoute. J’ai 4 ans, un vinyle de Nathalie et je danse : le monde m’appartient. Ma mère s’installe dans l’embrasure de la porte.

- Maman regaaaarde!

Tendrement, elle me sourit et observe avec attention l’absence de sens du rythme de sa progéniture. À la fin de la chanson, je reçois les applaudissements d’usage.

- Poussière, maman doit te parler. Il y a une grande nouvelle.

- Ah… oui… quoi? Quoi? Quoi, haletais-je (oui, déjà, je me donnais à fond dans toute entreprise que ce soit de manger une glace, de colorier ou de danser)

- Maman a un bébé dans son ventre. Tu vas avoir un p’tit frère ou une p’tite sœur.

J’ai réfléchis. Longuement. Et je me souviens avoir dit clairement, avec la candeur et l’assurance de la petite enfance heureuse :

- « On va avoir un p’tit frère. Y’a pas le choix! »

- En rigolant, « Ah oui, tu sais ça toi! »

- « Ben oui. On a déjà une petite fille, on en a pas besoin d’une autre! »

Vraiment, ma mère je l’aime, mais elle n’est pas rapide rapide. C’est l’évidence même, non? J’évaluais que comme petite fille, je faisais la job en masse! Pourquoi en prendre une autre?

Patiente, ma mère m’a expliqué l’amour universel des parents, puisant des exemples dans mon entourage :

- « Jacinthe et Catherine, elles sont sœurs et leur maman les aime beaucoup toutes les deux. »

Je n’y comprenais rien. Quel était le lien entre elle et moi? Elles étaient bien gentilles, mais ce n’était pas des amies : que des voisines distanciées par quatre maison de la mienne. Un monde en soi. Non, vraiment je n’étais pas d’accord et je le fis savoir.

Pédagogue, maman se replia sur une explication concrète : à partir de mes blocs LÉGO, elle m’a expliqué que le cœur des mamans est immense, infini et qu’on peut toujours y trouver de la place. On a fait une maison en légo. C’était la mienne. On a rapidement construit une maison pour le bébé. Il y a toujours assez de LÉGO dans nos cœurs pour construire des maisons, des condos, des palais, des royaumes pour les gens qu’on aime.

Depuis, j’ai délaissé les blocs multicolores mais je continue d’architecturiser des royaumes à la dimension des gens que j’aime; je demeure fidèle à leur essence telle que je la perçois et à ce qu’ils représentent pour moi. Vous décrire en quelques mots la complexité de ces résidences oniriques m’est impossible. En esquisser le plan général est plus réaliste : une maison de fées bleue et blanche située dans une clairière pour Émilie, un loft moderne et en bordel pour mon p’tit frère (j’avais bien anticipé sur le sexe du frangin), une maison champêtre pour Valérie et son amoureux, un palais onirique pour Caro-la-reine-de-rien, une jolie maisonnette à Québec pour Marie-Pier, condo moderne et fonctionnel pour Daphné, grande maison de ville pour y loger Anick-la-hip et ses mômes à venir... Œuvres d’art, dessins d’enfant, musiques, souvenirs, sourires et délires complètent la décoration de leur domaine et demeure intime.

Quand les habitations sont choisies, je les construis sur des îles ou des continents dont moi seule détiens les secrets. La géographie du cœur n’est pas enseignée dans les écoles et c’est parfait ainsi. Au fil des saisons et de la vie, j’ai aussi appris à relocaliser des personnes ou à faire table rase sur certaines maisons, certaines relations.

Parfois, j’ai également tenté de savoir à quelle enseigne ces êtres m’avaient logée : amitié, amour…La vie s’est toujours chargée de me donner mon adresse dans leur cœur…jusqu’à ce jour où, après ma rupture avec l’ex, nous avons commencé à nous fréquenter davantage : on a niaisé, on a ri, parfois pleuré. À tes côtés, la vie est d’une simplicité et d’une fluidité…comme l’eau elle coule et reste insaisissable, mais elle est aussi tellement rafraîchissante : comment ériger ta demeure si tu me glisses des mains sans cesse?

Envolées les certitudes de mes quatre ans. Je ne danse plus sur la voix de Nathalie. Le village est fermé depuis longtemps. La vie et le temps s’assurent d’étioler une à une nos certitudes. Ces dernières deviennent alors des croyances et au mieux des valeurs, des boussoles.

Ici, maintenant, je ne peux plus pointer le nord. L’orgueil, la peur, l’amour : tous ils contribuent au chaos de ma cité. Méthodiquement, quasi scientifiquement, je tente de capter des signes, des ondes, des indices de ton intérêt ou de ton indifférence. Je pense à nos conversations, les analyse, en soumet des extraits au jugement de mes amies. Je les interroge, les presse de questions. Je nuance les interprétations, je joue sur tous les tons. Je tais ton nom. Le silence est l’ultime rempart de ma patrie. Te nommer rend mon trouble trop concret. Dans mon univers confus, le rouge sang côtoie désormais le violet. Les verts et les bleus s’y ajoutent et toutes ses couleurs se déclinent en un flou artistique qui constitue notre relation. Au compte-goutte, je laisse tomber des larmes de blanc pour éclaircir le tout : rien n’y fait. Je te vois, te parle ou te lis et tout se brouille à nouveau

Je n’ose pas te dire tout ça. Si jamais tu te poussais je perdrais tout, et l’amour, et l’amitié. Je manque de courage. C’est pourquoi j’ai écrit ce texte adolescent : pathétique, maladroit, mais libérateur.

Je sors le chien et vais traîner mes questionnements plus loin.

Dehors, je fredonnerai.

8 commentaires:

La belle Lurette a dit…

Zone grise honnie d'où on ne sait pas si on veut y rester ou en sortir...Lâche pas!

A.B. a dit…

J'aime beaucoup ton billet. Un brin hermétique, mais empreint de poésie et de lyrisme. Bonne réflexion...

Clépétar a dit…

Tu m'émeus ce soir, chère Poussière.

J'aime bien la maison que tu as construit pour moi!

-xxx-

Marie-Piou a dit…

@ La belle lurette : mon dernier billet te permet de réaliser que c'est réglé! je n'aurai pas eu à résister longtemps.

@Safwan : je t'avoue mon ignorance, que veux-tu dire par " hermétique".. instruis-moi svp. (J'pas susceptible du texte!)

@Clépétar: bien gentil à toi. J'aurais du préciser.. une maison de ville, pas trop loin du verre bouteille hihihi

Hortensia a dit…

Je le trouve beau ce texte, pas adolescent, pas pathétique, simplement touchant. J'espère que tu l'as fait lire à la personne qui te l'a inspiré.

Marie-Piou a dit…

@ Hortensia : Non, et si tu lis le billet suivant , tu comprendras pourquoi. J'y ai pensé, mais avec les dénouements courrielliques de ce soir, je suis mieux de conserver ma p'tite sensibilité pour moi.
Merci d'avoir laissé un commentaire.

A.B. a dit…

«Hermétique» en ce sens où certaines portions du billet ne sont compréhensibles que pour la personne dont tu parles et toi. Des genres d'"inside", quoi.

Anonyme a dit…

Wow! Je sais que je suis en retard dans mes lectures mais c'est trop cute comme texte... J'espère sincèrement qu'il lira ce texte un jour! J'ai toujours su que t'étais une grande romantique poussière!

Merci pour la maisonnette à Québec... mais ne t'ais-je jamais dit que je visais plus le château Frontenac que la maisonnette?!

May Ree