Cette semaine, à l'école, deux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale venaient témoigner de leur vécu de soldat aux élèves. L'historienne en moi jubilait. J'avais aussi hâte que les élèves. Les deux hommes de 83 et 84 ans sont vifs d'esprit et encore très en forme. Il est franchement étonnant de voir l'attitude des jeunes envers eux. Sitôt qu'ils ont fait leur entrée dans la classe, une jeune fille s'est levée pour leur offrir des chaises et seulement deux filles chuchotaient. Des regards ont suffit à les faire taire.
Les conférenciers abordent un paquet de questions : leur quotidien (manger, se laver...), la peur de mourir, leurs relations avec le pays par la correspondance, les tours de gardes, le soir de noël ainsi que les armes et les stratégies. Par exemple, si on veut savoir si une place est vraiment vide, on lance une grenade. Si ça ne bouge pas, c'est qu'il n'y a personne.C'est apaisant et sécurisant pour les soldats. Silence complet jusqu'à la période de questions.
Une étudiante lève la main et prononce avec un léger accent germanique : "est-ce que vous haïssez encore les allemands?" On la sentait très tendue. Le vétéran a admirablement bien répondu, expliquant que pour lui soldat c'est un travail et qu'il n'a pas pris plaisir à participer à la guerre, ajoutant qu'à son retour au pays, il trouvait difficile de parler de ce qu'il avait vécu, mais ne nourrissait pas de haine contre les allemands. Ok, il a dérapé un peu en disant qu'il les admirait parce que c'était des vrais hommes, bâtis et super bien entraînés, super efficaces pour la guerre, mais dans l'ensemble, c'était vraiment une bonne réponse. Plus la période avançait, plus elle s'enfonçait sur sa chaise. J'observais du coin de l'oeil, au cas.
La cloche sonne. Tout le monde quitte. Je lui demande discrètement si tout va bien. Elle reste coite, mais hoche de la tête. Un des vétérans s'approche d'elle pour lui dire qu'elle ne doit pas s'inquiéter, qu'ils ne la haïssent pas. Elle éclate en sanglots! Elle hoquète : je sais, je sais, mais même si je n'étais pas là, ça reste mon histoire... ça reste mon histoire.
Alors, le vétéran lui fait une grosse accolade. C'était très particulier comme moment : réunion internationale et intergénérationnelle.
Une fois calmée, l'élève a brièvement expliqué qu'en Allemagne, les gens ont la perception qu'il y a encore une sorte de haine envers leur peuple à cause de la deuxième guerre (on se rappelle qu'Hitler n'a pas été très fair-play avec les conventions internationales pour se préparer à déclarer une guerre, notamment en montant une armée plus grande et mieux armée que ne le permettait le traité de Versailles), mais aussi à cause des camps de concentration. Alors, elle était très stressée de venir en classe rencontrer deux vétérans canadiens, et elle a ajouté, quand vous disiez que vous lanciez des grenades.. ben c'était sur des Allemands.. ça me faisait de quoi.
C'est magique quand le passé et le présent se rejoignent; quand l'histoire s'incarne et que ça finit comme un film hollywoodien. (Ouais, c'est mon côté fleur bleue ça).
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8 commentaires:
J'avoue que c'est un billet que tu qui contient beaucoup de contenu humain. Je ne m'attendais pas à ça du tout. Merci !
Wow, Poussière, quel bon billet!!
J'ai adoré! Elle est vraiment piou la petite, je ne pensais pas qu'à cet âge, elle aurait pu avoir intériorisé tout ça...
Vivement les suppléances :D
WoW, j'aurais aimé assister à ce beau conte hollywoodien moi aussi. Ça fait changement des cours avec «travail personnel», hein? ;o)
Wow! Belle expérience enseignante!
Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est une rencontre qui va changer sa vie à la petite.
Merci de nous avoir raconté.
@ Clépétar : J'ai également été surprise de réaliser à quel point l'élève avait intériorisé cette partie de son histoire. Faut dire que la responsabilité de la Deuxième Guerre a pesé lourd sur le peuple allemand... et manifestement pèse encore.
@ Safwan : Oui, taquine-moi autant que tu voudras, je reste OUTRÉE (oui oui!) par les " travaux personnels" à profusion!
@ prof masqué : en effet, quelle expérience! Ce sont ces moments-là qui me font parfois envisager sérieusement l'enseignement secondaire comme profession après le mémoire.
@ hortensia: ça l'a beaucoup ébranlée. Je l'avais aujourd'hui aussi en histoire et je lui ai demandé si ça la dérangeait de faire un retour sur la visite des vétérans. Elle préférait qu'on passe à autre chose... Elle m'a toutefois dit avoir été soulagée de constater qu'il n'y avait pas de haine envers les Allemands.
Superbe histoire!
Très touchant, pauvre petite et quelle pression elle a vécue cette journée-là!
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