3 avril 2007

Poupée de porcelaine

Isabelle marche en allant droit devant la tête bien haute, l'air fier, mais le regard baissé et éteint. Elle s'approche de moi à petits pas nerveux : toute sa gestuelle trahie sa crainte. Je la salue, l'air amical et spontané, puis j'observe. Elle me répond un faible "b'jour". Elle s'asseoit, dépose ses crayons, ses cahiers et elle attend en silence, l'esprit alerte et à l'affût pendant que les autres élèves profitent des minutes de liberté restantes pour chahuter et rigoler.

La cloche sonne. Elle passe en mode turbo-compresseur: la concentration du jedi, le sérieux d'un apôtre et l'anxiété du condamné se lisent sur son visage mat, sans artifices. Elle écoute mes paroles, les décrypte puis les encode dans un langage bien à elle, puis les range dans les moindres replis de son cerveau sursollicité.

Peu avant que ne retentisse la cloche libératrice -tant pour les élèves que pour moi- je commence à distribuer les examens que j'ai minutieusement corrigés pendant le week-end. Les commentaires fusent évidemment de partout : les élèves satisfaits de leur résultat laissent éclater leur joie aussi fort que ceux qui sont amers de ne pas avoir étudié davantage. Du coin de l'oeil, j'observe Isabelle. Elle est pétrifiée. La cloche sonne et alors que les autres sortent, elle reste assise. Peau translucide, regard hagard, respiration saccadée.

Isabelle a toujours l'air au bord du gouffre, mais j'ai l'impression que ça y est : elle a plongé tête première. Doucement je lui parle, en tâchant de me souvenir de son résultat d'examen qui semble être le déclencheur de ce drame qui se joue en elle... 92% si ma mémoire ne me joue pas de tour .. D'un coup d'oeil que je veux subtil, je saisi les chiffres que j'ai écrit à l'encre mauve: 92%. Ma mémoire est fidèle et égoïstement, je m'en félicite. Le son de ma voix la sort de sa torpeur. En évitant mes yeux, elle rapaille son matériel épars sur sa table, se lève rapidement et quitte la classe prestement en me disant "tout va bien" d'une voix quasi d'outre-tombe...

Obsédée, elle marche dans le corridor davantage mue par un instinct de survie que par son sens de l'orientation.

Mon cerveau a défailli. Où sont passés les points envolés? J'ai pourtant étudié! Ce doit être des erreurs sottes encore! Une connerie! Ma moyenne va peut-être baissée...! Mais où sont donc passés ces foutus points?

Probablement au pays de ton enfance ma belle Isabelle...
Ils sont allés rejoindre les rires, les complicités et les peines qui devraient si bien rimer avec tes 15 ans...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Seigneur ton texte est vrm bon , je sais pas si il est véridique , mais il me fait vraiment revivre mon bon vieux secondaire où une note (pas 92 certain!) me faisait déffaillir en secondaire 2 par exemple ! Vraiment bon poussière ! :)

Marie-Piou a dit…

Merci
Il est malheureusement vrai.
La p'tite en fait presque pitié.
Ça m'a beaucoup troublé et le texte a servi d'exutoire!

unautreprof a dit…

ah, faut faire attention!
Je ne veux pas être alarmistes, mais les filles avec cette tendance à vouloir la perfection, ça cache parfois des troubles intériosés.
Rien à paniquer, mais ouvrir la porte, lui dire qu'on s'inquiète, observer...

Ça me rappelle une amie que j'avais, c'est pour ça que ça m'inquiète.

Marie-Piou a dit…

Merci un autre prof pour ton commentaire. J'y ai bien songé aussi. J'en ai parlé avec le prof que je remplace et il m'a dit que ce sont ses parents qui poussent. L'orthopédagogue m'a confirmé le tout. Elle a un souci de performance qui est exacerbé par ses parents...

Je garde néanmoins l'oeil ouvert.
Merci

Ness Eva a dit…

Quelle histoire. J'en ai des frissons. "Un autre prof" a raison: ça cache probablement autre chose que juste les parents qui poussent pour les bonnes notes et les performances scolaire quasi-impossibles.
Je ne sais pas à quel niveau tu enseignes, mais au secondaire, l'image corporelle est aussi très importante et j'ai peur que sous cette tension pour obtenir des bonnes notes se cache peut-être un désordre alimentaire.

Bonne chance avec ta p'tite!