Marie a 12 ans. Sa mère travaille dans un hôpital. Le soir quand elle rentre, elle porte sur elle une odeur d'anesthésie mêlée à celle des microbes. Marie est terrorisée par cette femme qui lui offre pourtant le meilleur, le pire et le meilleur du pire. Elle crie sans cesse après elle et la giffle, la frappe et l'humilie devant un public de voisin qui n'a même pas payer pour le spectacle. Marie déteste ces gens qui savent, qui s'emmurent dans leur silence, mais qui ne manquent jamais de saluer sa mère lorsqu'ils la croisent dans leur petit quartier de cette banlieue cossue. Marie reconnaît que parfois, sa mère a bien raison de crier, comme la fois où, six ans plus tôt, elle avait quitté la maison, la cour et même la rue sans prévenir et qu'elle s'était aventurée sur le boulevard. Marie voulait simplement découvrir le monde, mais elle était en mesure de comprendre l'inquiétude de sa mère. Deux jours après cet incident, son papa avait achevé de construire une clôture qui délimitait précisément l'espace de jeu de Marie, son territoire sécuritaire. Ce n'était pas la seule clôture que ces parents allaient lui construire. Cependant, du haut de ses douze ans, elle n'est pas encore consciente des palissades qui l'isolent des autres.
D'autres fois, Marie était persuadée que maman n'avait pas raison de lui crier dessus. Mais allez lui expliquer ça! Par exemple, lors de la révision des devoirs et des leçons, sa mère ne semblait pas comprendre qu'elle la terrorisait à force de hurler chaque fois qu'elle faisait une erreur! Ainsi, figée, la réponse suivante s'avérait inévitablement fausse.. les cris reprenaient alors, et la peur de recevoir une taloche lui tenaillait à nouveau les entrailles. Et il y avait son frère, de quatre ans son cadet, il savait toutes les réponses qu'elle ignorait tant il l'avaient entendu réciter ses leçons! Lorsqu'il répondait avant elle, qu'un grand sourire se dessinait sur son visage irradiant d'orgueil et de fierté, elle aurait voulu le frapper à son tour... Or, elle était bien incapable de frapper quiconque...Donc, à la maison, Marie vivait dans l'ombre crée par l'auréole de son angélique frère tant aimé par cette même mère qui la couvre d'opprobre. Acceptant la fatigue des grands qui travaillent, qui ont des problèmes sérieux, qui n'ont pas le temps de jouer - elle n'a jamais bien compris pourquoi d'ailleurs- elle conserve ses questions, ses envies, ses rêves bien enfouis au fond de sa petite âme.
Néanmoins, Marie a un royaume bien à elle : la salle de classe. Elle y règne sur les cours de sciences humaines, y est la grande prêtresse des mots, la Van Gogh des périodes d'art... Et dans ses matières plus faibles, comme les maths et l'éducation physique, elle se classe tout de même dans le premier tiers de la classe...académiquement irréprochable! À l'école, Marie s'exprime et s'épanouit : elle y est heureuse. Elle s'entend généralement bien avec les professeurs et les autres élèves... Et au garçon qui la taquine sur ses cheveux très longs ou à la jeune fille qui lui donne un quolibet ridicule, elle sert sensiblement la même réponse : " Ton avis ne compte pas, parce que ton bulletin est minable." Que peut-il répliquer? Jamais Marie ne se met en équipe avec le dernier de la classe puisqu'il aurait entravé sa réussite. C'est évident! 1+1 font deux. Cette équation, elle la maîtrisait parfaitement. C'est ainsi que jusqu'à maintenant, elle avait fait son chemin à coup de sourires, de gentillesse, d'immense désir de conformité n'hésitant pas non plus à user du mépris ou à piler sur la tête du monde pour se tailler une place. Elle ne connaît rien du "darwinisme social", mais déjà, elle l'applique parfaitement : si t'es pas fort, dégage! Sa mère l'encourage dans cette voie: réussir à tout prix. " Tu sais Marie, les amis, ça restent pas dans la vie... faut rien construire en en tenant compte parce qu'ils vont te poignarder dans le dos".
Ce soir c'est le gala méritas des 6è. Elle va gagner au moins deux prix. Sa mère va la voir et l'applaudir . Elle va s'être habillée chic pour l'occasion et ne sentira pas l'hôpital. Quand elle lui fera un câlin, elle sait le parfun floral qui va en émané. Son père, s'il ne travaille pas sera aussi présent, même que sa mère va l'avoir forcé à quitter son jeans pour un beau pantalon assorti avec une chemise fraîchement repassée. Enfin, c'est elle qui va monter sur scène, dans la lumière, sous le regard de son petit frère dont les exploits mathématiques seront ignorés de tous. Et maman lui a même donné la permission de se maquiller, comme une vraie femme... Il faut cacher les petites échymoses qui parsèment son corps pâle.
31 janvier 2007
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2 commentaires:
Wow.Ta nouvelle m'a vraiment prise de court. Je ne m'y attendais pas , je ne m'attendais pas à être émue comme je l'ai été . bravo. touchant ..
Merci...
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